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SPIP est-il un logiciel français ?

lundi 2 novembre 2009, par Fil

Stupeur, ce matin, d’apprendre que le gouvernement a lancé son « grand débat sur l’identité nationale » avec un site... sous SPIP.

Ayant un peu pris part ces dernières années au développement de l’écureuil, je me suis senti obligé de m’interroger :
— faire du logiciel libre, est-ce obligatoirement travailler pour des gens dont on méprise les actions et combat les idées ?
— SPIP est-il un « logiciel français » ?

 

La première question, en fait, est très simple. La réponse est sans ambiguïté oui : faire du logiciel libre, c’est travailler pour tous les utilisateurs, quels qu’ils soient. On crée — collectivement — un bien public, qui par définition est non-exclusif : tout le monde, y compris tes adversaires idéologiques (et celui-là n’est pas le premier du lot !), est à même de l’utiliser pour diffuser ses idées et sa propagande.

La seconde question est plus difficile. Il existe bien le cinéma français, une littérature française, et ce ne sont pas nécessairement des soutiens de la politique des charters de Nicolas Sarkozy. Pourquoi, dès lors — me direz-vous —, ne pas accepter la notion de logiciel français ?

Jamais l’équipe de SPIP n’a souhaité ni revendiqué faire un logiciel français. Il se trouve que ce projet a été initié par trois personnes qui (à l’époque) vivaient à Paris, et vraisemblablement de nationalité française (je n’ai pas vérifié leurs papiers). Mais la nationalité des porteurs du projet a-t-elle la moindre importance ? Drupal, développé par le Belge Dries Buytaert, est utilisé jusqu’à http://www.whitehouse.gov/ ... quelqu’un a-t-il jamais soutenu qu’il s’agissait d’un « logiciel belge » ?

Si SPIP a une particularité, c’est plus sur le plan linguistique que national : il est écrit (codé) principalement dans la langue maternelle de ses développeurs, et donc en grande partie en langue française. Bien sûr, depuis lors, des développeurs de toutes nationalités ont été intégrés — on trouve du code écrit en italien, en anglais... et même en galicien. Sans parler des traducteurs, très actifs. Cette matrice initiale a toutefois favorisé le développement de SPIP dans un contexte francophone. Par voie de conséquence, et par le fonctionnement du bouche-à-oreille, beaucoup d’utilisateurs sont en France. On trouve plus de lieux (réels) de rencontres SPIP en France que dans d’autres pays (même s’il en existe de plus en plus) ; plus d’espaces virtuels (listes, documentations, etc.) en français que dans d’autres langues. Donc, de ce point de vue, oui : le succès de SPIP est certain dans le monde francophone, mais aussi (un peu) dans le monde hispanophone. Tandis qu’ailleurs, la « pénétration de marché » est réduite, voire inexistante.

Mettant l’accent sur le multilinguisme, bizarrement, nous avons renforcé ce tropisme. Car le marché mondial de l’informatique, pour le moment, exige de l’anglais, et se contrefiche du multilingue. Or, notre première traduction a été la version espagnole. La deuxième ? la version arabe ! La traduction anglaise n’est arrivée qu’en quatrième rang, initiée par notre traducteur arabe.

Un autre épisode a failli « franciser » SPIP officiellement. C’est la tentative du Service d’information du gouvernement français (SIG), entre 2003 et 2005, de faire main basse sur le projet. Cette tentative, dénommée Agora, puis SPIP-Agora, a fini par crever dans son coin. Mais elle a eu deux conséquences :
— il a fallu, pour défendre les droits des contributeurs de SPIP, l’ancrer solidement dans le droit français (en rusant avec le Code de la propriété intellectuelle de la même manière que la licence GPL ruse avec le copyright internationale), ce qui fait que SPIP est probablement le logiciel libre disposant du meilleur régime juridique qui soit sur le territoire français ;
— le fait que le gouvernement français « utilisait » SPIP a parfois été confondu avec l’idée que le gouvernement « soutenait » SPIP. Voire même qu’il existait un lien entre les deux entités. Quand on sait qu’à cette époque certains contributeurs de SPIP étaient des sans papiers, cette manière de raconter l’histoire fait doucement (ou amèrement) rigoler...

Alors, SPIP, français ? Non. Pas par haine de soi, ni par posture politique, mais tout simplement parce que ce qualificatif n’est pas pertinent.

SPIP ne s’adresse pas à son public-participant depuis une catégorie nationale, culturelle ou linguistique, mais à partir d’une proposition d’échange, de découverte mutuelle, d’entraide et... de tendresse. Cette proposition ne connaît pas de frontière, ni d’identité — “Ce qui fait qu’une chose est la même qu’une autre”.

 

Quant au débat à la con...

D’autres écrivent et écriront mieux que moi sur le méchant « débat » du ministre des charters. Si vous êtes en manque de lecture, voici quelques liens : Brave Patrie, Désordre, Eric Fassin, Mademoiselle...

18 Messages de forum

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 17:04 , par Nicolas Hoizey

    Non mais franchement, dire que le « Service d’information du gouvernement français (SIG), entre 2003 et 2005, [a tenté] de faire main basse sur le projet », c’est pas un tout petit peu exagéré ? :-p

    Certes, pour ce qui est de l’image politique, c’était un gouvernement de droite à l’époque, ce qui a hérissé le poil de certains membres de la communauté SPIP. Mais la plupart des responsables du projet étaient là avec d’autres gouvernements, et n’étaient clairement pas de la tendance de celui pour lequel ils travaillaient lors du projet SPIP-Agora. La plupart sont d’ailleurs partis bien vite...

    Pour ce qui est de « faire main basse » sur SPIP, il n’en a bien entendu jamais été question. La communication n’a sans doute pas été faite comme il se doit dès le départ, mais personne ne s’est privé de cracher sur les responsables du projet même après qu’ils aient tenté de corriger le tir.

    C’est un peu contradictoire de prendre une posture outrée et de crier au scandale quand un gouvernement de droite utilise SPIP, quel que soit le projet qui se base dessus, et de dire quelques années après que SPIP est destiné à « tout le monde, y compris tes adversaires idéologiques »...

    • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 17:17 , par Fil

      Je n’ai jamais été outré que le gouvernement utilise SPIP ! Et, qu’il ait été de droite ou de gauche m’était de ce point de vue bien égal. Une fois qu’on a digéré que Christine Boutin utilise SPIP, on n’est de toutes façons pas à un Raffarin près. Et, si tu veux aller par là, c’est un administrateur « de gauche », qui dirigeait la manœuvre avant d’aller conseiller Ségolène Royal, puis les Verts et quelques autres, à propos d’Internet.

      Par contre, je maintiens que le SIG a tenté faire main basse sur SPIP. Je comprends, vu ton implication d’alors, que ça ne te fasse pas plaisir qu’on en reparle aujourd’hui, mais c’est bien ça qui s’est passé. Cela dit, ce n’est pas le sujet de cet article. Peut-être pour un autre article, une autre fois.

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 17:25 , par Nicolas Hoizey

    Nous sommes donc d’accord pour la stupidité des réactions politiques.

    Pour ce qui est de la tentative de « faire main basse » sur SPIP, je ne suis effectivement pas d’accord, à moins qu’il y ait eu des choses faites à mon insu, donc je suis vraiment curieux de lire un avis posé sur la question, loin des cris d’orfraie de l’époque.

    • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 17:37 , par Fil

      C’est drôle que tu ne te rappelles que de « cris » et de « posture outrée » — comme quoi la mémoire est sélective. Quoi qu’il en soit je peux te rassurer sur un point : si ce que tu dis est sincère, il y a assurément des choses qui se sont produites à ton insu.

  • Je confirme Le 2 novembre 2009 à 17:45

    J’y étais à l’époque, je confirme la version de Fil : le SIG a bien tenté de faire main basse sur Spip. Sans avoir réussi à se l’approprier (il semble que les core dev refusaient de le modifier dans un sens qui ne leur plaisait pas), le SIG a lancé un fork hostile. Qui a fait plop (et je reste poli).

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 18:05 , par Nicolas Hoizey

    Sérieusement donc, je suis intéressé par tout témoignage probant sur des choses qui auraient pu se passer à mon insu. Dommage que certains restent anonymes...

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 18:30 , par potter64

    Où va t’on ? Bientôt le site de présentation d’HADOPI en SPIP ?

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 2 novembre 2009 à 18:36

    Je suis totalement d’accord avec le « c’est travailler pour tous les utilisateurs, quels qu’ils soient. (…) tout le monde, y compris tes adversaires idéologiques ».

    Pour moi, c’est aussi valable pour Internet, tout ce qui touche à Internet. Même aux personnes que je déteste, si je peux aider, je le fait (accès à Internet, courrier électronique, hébergement de site, etc.). Peut-être parce que c’est du domaine des télécommunications : il s’agit de ne pas être tout seul dans son coin, faire preuve d’une sorte d’ouverture quoi.

    Et puis, ça fait partie de ces choses qu’on respecte, qu’il ne viendrait pas à l’idée de priver les autres… des règles en fait ! C’est peut-être pour cela qu’on dit qu’Internet est un droit fondamental ?

  • On peut quand même lui offrir une carte de séjour Le 2 novembre 2009 à 20:18 , par Didier Kala

    Très cher Fil,

    soyez assuré que nous sommes prêts à accueillir votre petit système apatride pour services insignes rendus à notre brave patrie.

    C’est moche, de ne pas avoir de drapeau, d’hymne national ou d’équipe de foot.

    Bien à vous,

    Didier Kala

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 9 novembre 2009 à 04:02

    Le Parquet d u TGI de Paris bosse sous Open Office. Dans la même veine (vaine)

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 21 décembre 2009 à 20:24 , par Valéry

    Drupal n’est peut être pas un logiciel belge, mais le roi l’utilise :-) http://buytaert.net/king-of-belgium-goes-drupal

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 11 octobre 2010 à 23:50

    Bonjour,

    je suis un ancien utilisateur de spip (des versions 1.7.0 à 1.9.2), j’ai vraiment beaucoup aimé, mais j’ai fini par me tourner vers d’autres CMS, principalement parceque l’interface d’admin évoluait peu.

    A l’époque, je m’étais dit que spip était condamné à cause de sa nature francophone. Quand je regarde google trends (http://www.google.com/trends?q=spip), je constate malheureusement que spip est en déclin, et c’est logique car le code est hermétique pour qui n’est pas francophone. Mettez vous à la place d’un développeur brésilien ou un pakistanais essayant de comprendre ce que signifie $rubriques_tantes...
    Ça m’est arrivé de tomber sur des bouts de code intéressants et de les laisser tomber immédiatement en voyant qu’ils étaient codés en tchèque ou en polonais.

    Donc spip est privé de la force de développement d’une grosse majorité des développeurs mondiaux. Et parmi les programmeurs francophones, combien ne parlent pas anglais ?

    Dommage, car spip avait de l’avance et des sacrés qualités, et aurait pu devenir un cms aussi important que wordpress ou joomla.

    A mon avis, l’intégralité du code doit être en anglais : les noms des fonctions, des variables, des fichiers, des répertoires, les commentaires, la syntaxe des boucles... TOUT (ce qui n’empêche évidemment pas de faire une bonne doc multilingue).

    On peut le regretter, mais je crois qu’un logiciel dont le code n’est pas anglophone est condamné.

    • SPIP est-il un logiciel français ? Le 12 octobre 2010 à 11:17 , par davux

      Moi aussi je préfère coder avec des noms de variables, de fonctions, etc. en anglais. Et il est vrai que tous les développeurs savent généralement parler anglais... mais les utilisateurs non, et c’est bien à ceux-là que SPIP s’adresse en français. Or, une caractéristique de SPIP est que ce n’est pas un programme remplissant une certaine fonction de façon très cloisonnée, comme un jeu, un traitement de texte, etc. : c’est, en plus d’être un programme, une trame de programme extensible. Dès lors, avoir un code en anglais impliquerait d’avoir une API (au sens programmation, pas juste URL) en anglais, des noms d’objets en anglais (les articles, les rubriques...), et ainsi de suite, un élément entraînant les suivants. Essayer de faire cohabiter du français pour la partie "visible" et de l’anglais pour les rouages serait totalement irréalisable : la déclaration du moindre filtre aurait son nom en français et les arguments en anglais... (On imagine également les commentaires du genre "Here we’re deleting a rubrique because its auteur is..." etc.)

      Du coup, c’est compliqué, car un langage de programmation localisable, ça n’existe pas. Texas Instruments l’a tenté sur l’API des TI-89, TI-92 et compagnie : c’est impraticable, car source d’incompatibilités et d’aberrations à plein de niveaux.

      Une beauté de SPIP est son accessibilité aux utilisateurs français. C’est complètement pas stratégique du point de vue RH, mais c’est génial que ça existe. En revanche, je suis entièrement d’accord sur la nécessité pour un logiciel, surtout libre, d’avoir un code, et de manière générale, un développement le plus accessible et transparent possible, mais n’oublions pas que même en termes francophones cela est encore grandement améliorable. Travaillons donc sur ça avant de se cacher derrière des questions de langue.

    • SPIP est-il un logiciel français ? Le 12 octobre 2010 à 11:46 , par Rastapopoulos

      Est condamné oui. Mais condamné à quoi ?

      ... À rester francophone. Point. C’est donc tautologique : en étant développé en français, SPIP est condamné à rester plus ou moins francophone. Et ?

      Il y a moult raisons et explications à répondre à cette remarque. Je ne parle là que de ce qui me touche.

      Tout le monde a-t-il une ambition démesurée d’être international ? De toucher la moindre personne du moindre recoin du monde ?

      Plus il y a de contributeurs, plus il y a de contributions et plus la probabilité est grande d’avoir des contributions intéressantes dans le lot. Certes. Mais plus il y a de monde, plus il faut organiser, plus il faut structurer, etc. Plein de projets libres s’en accommodent parce que les gens qui travaillent pour et avec ces outils sont prêts à accepter cette structuration. Que ce soit d’autres CMS comme Drupal ou Wordpress qui sont chapeautés par des entreprises, ou bien d’autres gros projets comme Debian ou Ubuntu qui ont des règles de participation extrêmement complexes et élaborées, dès que l’on atteint une certaine masse, on est obligé de sévir (oui je vois ça comme une punition, moi).

      En ce qui me concerne, et je suis prêt à parier que ça vaut pour un certain nombre de personnes dans ce projet, je n’aurais pas pu aimer et participer à SPIP avec une organisation plus manageuriale.

      Davux, ton avis est biaisé, toi t’es au moins qudrilingue et globe-trotter ! :D

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 12 octobre 2010 à 13:39 , par Suske

    Condamné au confinement éternel dans le monde de la tendresse... Snif

    SPIP c bôôôô

    [Flattr=21446]

  • SPIP est-il un logiciel français ? Le 24 décembre 2010 à 15:53 , par Scribe

    Je développe dans mon coin de province et je ne parle pas le moins du monde anglais auquel je suis à peu près imperméable (un fond dyslexique sûrement).

    Alors oui quand j’ai vu SPIP je me suis immédiatement dis que c’était ce logiciel qu’il me fallait. Et 4 ans plus tard, j’en suis toujours convaincu.

    Pire encore, j’avoue prendre de plus en plus de plaisir à l’utiliser.

    Alors merci SPIP francophone.